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La moisson de l’or blanc
Norbert Creutz
Magnifique documentaire d’observation, «My Name Is Salt» de Farida Pacha nous emmène dans un désert indien

A priori, c’est un désert à perte de vue, où rien de pousse et ne saurait attirer l’humain. Surgissent deux véhicules, qui roulent jusqu’à une cahute abandonnée. La famille qui en descend s’installe, se met à creuser, sort de terre une pompe à eau et la remet en état de marche. Teuf teuf : première coulée brunâtre. Dougetdougetdougetdoug : voilà l’eau claire. C’est le début d’une formidable démonstration d’ingéniosité humaine.

Chaque année pendant huit mois, des milliers de familles investissent comme celle de Sanabhai le Rann de Kutch, un immense marais salant de plus de 5000 km2 au nord-ouest de l’Inde, dans l’Etat du Gujarat à la frontière du Pakistan. Désertique la plus grande partie de l’année, il se retrouve submergé au moment de la mousson. Mais durant la saison sèche, tous ces gens s’y retrouvent pour produire un sel réputé le plus blanc sur Terre.

Commence alors un documentaire rare, de pure observation. Sans le moindre commentaire «off», on y suit les gestes souvent mystérieux de cette famille qui délimite une quinzaine de grands bassins, creuse des canaux, piétine puis ratisse le moindre centimètre carré. Pour finir, des cristaux de sel se forment. Mais attention! Ils doivent être d’un blanc parfait et pas trop gros pour que la récolte soit achetée par les revendeurs tenus au courant par téléphone…

Spectacle rébarbatif, ennuyeux? Tout sauf ça, les auteurs ayant su transformer leur matériau en véritable poème visuel. Cinéaste originaire de Mumbai mais établie à Zurich depuis 2011, Farida Pacha est ethnologue de formation. Son compagnon Germano-Suisse Lutz Konermann («Der Fürsorer», «Dharavi – Slum for Sale») tient ici les rôles de chef-opérateur et de producteur. Ensemble, ils ont façonné un film qui tient quasiment de la sculpture, à force d’attention aux détails, de plans amoureusement composés et de montage millimétré.

Bien sûr, le rythme est comparativement lent. Mais surtout juste. Quelques visiteurs ailés inattendus, des jeux mais aussi une classe d’enfants, une virée du dimanche au marché le plus proche : tels sont les seuls «événements» à attendre ici. Le reste n’est que labeur épuisant rythmé par le bruit continu de la pompe, juste interrompu le temps d’une panne alarmante.

Ce n’est pas pour rien que le film s’ouvre sur une citation du «Mythe de Sisyphe» d’Albert Camus. Pour dire le désespoir derrière cette beauté, comme dans le classique «L’Île nue» du Japonais Kaneto Shindo? Plutôt un paradoxal «bonheur» à vivre dignement d’un travail bien fait, peu importe la dureté des conditions. Décidément, ce documentaire «contemplatif» a beaucoup à nous dire.

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/747c759e-a65a-11e4-9acf-c65b500212f4/La_moisson_de_lor_blanc

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